Invité par l’Alliance française de Santiago de Cuba à présenter mon premier roman « Toca Leòn! », il ne m’a pas fallu longtemps pour dire oui, ceux qui me connaissent comprendront pourquoi. Il s’agissait de partager une conversation avec des élèves cubains, enfin, c’est ce que je pensais au premier abord. Mais, en arrivant dans cette grande bâtisse consacrée à l’étude de la langue française par ses cours et sa bibliothèque, une toute autre expérience m’attendait.
Dans la salle de conférence, au fond de la bibliothèque, une émotion m’a serré la gorge lorsque j’ai commencé à parler. J’étais dans la salle où j’avais pris mes premiers cours de batas, tambours sacrés de la santeria, avec Mililián GALIS (Gali), illustre Maître tambours.
Voir article sur Mililián GALIS, dit « Milián », ou encore « GALI » tout court (on prononce très peu ou pas du tout les « s » finales dans cette partie de Cuba) sur le site de Ritmacuba.
« Aujourd’hui, une boucle s’achève, car c’est ici qu’est né ce roman. À cette époque, je n’avais aucune idée que cette histoire allait voir le jour, et pourtant, me voici, presque dix ans plus tard, dans cette même salle. Il y avait là un tableau où Gali écrivait la clave ainsi que le positionnement de chaque tambour bata… C’est là que mes premières expériences fortes avec les tambours ont vraiment commencé. C’est là que j’ai senti vibrer dans mon ventre la musique sacrée. Il semble naturel aujourd’hui que je me retrouve ici, en pèlerinage inattendu. »
Les tambours résonnèrent un moment dans mon esprit avant que je puisse commencer la lecture de quelques extraits dans lesquels je partageais mes impressions sur Santiago, les sons, les odeurs, la moiteur… ce que ressent le voyageur en arrivant.
Dans la rue déserte, les murs transpirent encore la chaleur du jour. Des courants d’air fugitifs s’infiltrent dans la moiteur, prémices du répit nocturne. Les maisons grandes ouvertes offrent leur quotidien modeste. Sur une terrasse, pendue par un fil, une ampoule nue, séductrice de mille petites ailes diaphanes, accorde son halo aux joueurs de dominos. Ils délaissent leur jeu un instant pour suivre les passants.
[...]
La terrasse, plus grande que la chambre, est ceinte d’un muret, juste à la bonne hauteur, invitation à s’accouder.
La présence de la ville autour d’eux les interpelle. Les premiers regards sont pour le port, une lune à mi-parcours le dévoile timidement. Seul le cœur de la baie reflète distinctement les collines, plus nettes dans l’eau qu’à l’horizon. Les lampadaires en contrebas éclairent sans orgueil des façades défraîchies, reliées entre elles par des écheveaux de fils électriques, descendant vers le cœur de ville où se dresse, flamboyant, le clocher rond d’une cathédrale.
[...]
Les courants d’air transportent des mélodies de trompette aux accents de « son », musique traditionnelle de Santiago, accompagnées d’odeurs métissées inconnues, mélange de ces murs, de ces terrasses, de cette ville aux contours engloutis dans le noir profond de la nuit. Doucement, les mille détails de la journée s’évanouissent pour ne laisser place qu’au silence des deux voyageurs.
[...]
Léon sent une boule grossir dans son ventre. Faire le beau avec les copains, c’est facile, mais l’idée de rencontrer Galoo le met mal à l’aise, comme avant un examen. Le peu qu’il a entendu de Galoo, c’est qu’il est un Maître en percussions, mais aussi en religion. Léon affiche un sourire détendu à qui veut bien y croire, mais dedans, il n’ose pas réfléchir à ce qui va se passer.
La porte de la pièce où l’attend Galoo est entrouverte. Léon entre sans frapper. À sa plus grande surprise, il n’y a qu’un jeune assistant avec Galoo, il s’attendait à participer à un cours collectif. La pièce est petite, trois chaises, un tableau noir, un ventilateur au plafond, et surtout trois batas préfigurent la teneur de la session. Galoo s’adresse à Léon dans un espagnol sommaire :
— Entre et assieds-toi ici.
Il dessine une portée sur le tableau.
— Tu connais la clave ?
Sans attendre de réponse, Galoo écrit la clave sur la portée.
— Ce que je vais te montrer n’est pas conventionnel, mais cela t’aidera à te repérer et nous gagnerons du temps.
La clave est à la fois une figure rythmique sur deux mesures et l’instrument avec lequel elle est frappée : deux morceaux de bois dur d’environ vingt centimètres. En traçant un trait sous une note, sans se retourner, il dit :
— C’est de là que tu dois partir. Chaque tambour a sa place sur la clave.
Les élèves et les professeurs attentifs manifestèrent leur enthousiasme :
« Pour une fois que quelqu’un écrit sur Santiago, d’habitude, c’est toujours sur La Havane »
« La vision d’un étranger sur notre pays, sur notre ville, nos traditions, notre manière de vivre, c’est toujours intéressant à découvrir »
« Quels autres romans avez-vous écrits ? »
Deux heures d’échange, de partage, d’amitié, de curiosité, d’intérêt pour le travail d’auteur. Cela m’a paru étrange de parler ensuite de La grande Borie dont le sujet est à mille lieues de Cuba, mais qui, pourtant, a tout autant intéressé l’auditoire. Le débat s’est installé autour des valeurs humaines universelles. De toutes les rencontres avec le public, c’est la deuxième qui me touche aussi profondément. La première, c’était à Soudorgues, village cévenol de quelques centaines d’habitants, et bien entendu ici, à Santiago, où la chaleur des Cubains pousse à l’humilité et au partage sincère.
Il va sans dire que j’ai offert un exemplaire dédicacé de « Toca Leòn! » à la bibliothèque et me suis engagé à leur envoyer La grande Borie. J’en profite pour inviter tous ceux qui le souhaientent à leur envoyer des livres :
Alliance française,
Calle 6 ESQ 15 n° 253
Reparto Vista Alegre
90400 SANTIAGO DE CUBA — CUBA
Pour voir les photos prises à l’alliance française ainsi que celles du reportage sur le peintre Dennis Gallardo Castro (prochain article), suivre ce lien vers l’album